L’histoire sans fin, mon mythe fondateur

l'histoire sans fin


L’Histoire sans fin : du film au livre

Je me souviens que j’avais 7 ans.

Je me souviens d’un générique : des nuages menaçants et une musique qui me plonge encore aujourd’hui dans un bonheur indescriptible.

Ce jour-là, je suis tombée amoureuse d’un jeune peau verte nommé Atreju, j’ai pleuré la mort d’un cheval, j’ai eu peur d’être dévorée par le Néant, j’ai volé sur le dos d’un dragon de la Fortune, j’ai découvert Fantasia … et je ne m’en suis jamais remise.

Je crois que ce souvenir est le plus marquant de mon enfance.

Naturellement, j’ai aussitôt réclamé le livre à mes parents pour revivre cette magie. Et j’ai découvert que le livre était encore plus magique. Et après une dizaine de lectures, j’en suis de plus en plus persuadée.

Une identification immédiate

l'histoire sans fin BastienBastien, un petit garçon solitaire, mal aimé par ses camarades, rêveur et toujours le nez dans ses livres … voilà qui ne pouvait que me parler. J’ai tellement compris ce personnage que je ne pouvais que m’engouffrer avec lui dans l’Histoire sans fin. C’était justement mon rêve : une histoire sans fin, un livre qui ne s’achèverait jamais.

Bastien n’est pas un héros parfait. Il est timide, trouillard, en échec scolaire. Son physique n’est pas idéal non plus : dans le livre, il est présenté comme petit et gros. Il vole même un livre ! De quoi rassurer une gamine mal dans sa peau, un peu convaincue d’être une extra-terrestre échouée sur Terre.

Il n’est même pas courageux : quand il devient évident qu’il est le sauveur dont Fantasia a si désespérément besoin, il hésite encore, bat en retraite, refuse d’assumer ce rôle. Cette fragilité m’avait touchée, avait trouvé un écho dans mon propre vécu.

De plus, Bastien se pose les questions existentielles que je me posais aussi quand j’ai lu le livre pour la première fois : pourquoi les héros de livres ne vont-ils jamais aux toilettes ? Que se passe-t-il dans un livre quand il est encore fermé ? Suis-je moi même le héros d’un livre que quelqu’un d’autre est en train de lire ?

L'histoire sans fin AtrejuA l’inverse, Atreju est un « moi » idéal, fantasmé. Un héros courageux, intrépide, intelligent et empathique. Celui que l’on rêverait être. Il n’est pas nuancé car il appartient au Pays Fantastique : il reprend beaucoup de caractéristiques des héros de contes de fées (il est orphelin, le plus humble appelé à devenir le plus puissant, poursuit une quête initiatique, doit partir seul et sans armes …)

Je ne sais pas si je réinterprète mes souvenirs, mais il me semble que l’enfant que j’étais avait très bien saisi la différence entre réalité et fiction, donc la complémentarité de ces deux personnages.

Des personnages merveilleux

Pjörnrachzarck, le mange pierre; Fuchur le dragon de la fortune; Ygramul la Multiple; Gmork, le loup garou dévoreur de mondes; Uyulala, la Voix du Silence… ces personnages m’ont habitée pendant des années, et ils le font encore.

Le fabulaire présent dans l’Histoire sans fin est tout simplement incroyable. Des créatures belles ou hideuses, sages ou folles, cruelles ou généreuses, toutes égales sous le regard de la Petite Impératrice. Michael Ende s’en est donné à cœur joie et la richesse de sa création me fait toujours autant rêver.

L'Histoire sans fin FuchurMa préférence va sans hésiter à Fuchur, le dragon de la Fortune à la voix d’airain et aux yeux rubis. Tout d’abord parce qu’il vole (la grande classe), qu’il est une créature de l’air et du feu et qu’il supporte donc très mal l’immersion dans l’eau (comme je le comprends), qu’il fait preuve d’un optimisme à toute épreuve et surtout parce qu’il protège fidèlement Atreju et Bastien (j’aime beaucoup les figures protectrices). Et quel enfant n’aurait pas rêvé d’un tel compagnon ? J’ai longtemps levé les yeux vers le ciel en espérant le voir apparaître…

La deuxième partie du livre, que j’ai longtemps moins appréciée que la première, peut-être parce que plus difficile, présente un univers plus sombre, plus médiéval, peut-être plus masculin (parce que créé par Bastien ?) mais la seule présence de la magicienne Xayide lui confère un charme très puissant, bien qu’inquiétant.

Un symbole très fort

L’Auryn, emblème de la Petite Impératrice est tout d’abord une réussite esthétique. L'histoire sans fin AurynDeux serpents qui se mordent la queue, un clair et un foncé. J’ai maintenant conscience qu’il s’agit d’une variation autour du Yin et du Yang mais à l’époque de ma tendre jeunesse, la signification était assez évidente pour que je la perçoive. J’ai tellement été obsédée par ce symbole que ce nom a longtemps été mon pseudonyme.

L’Auryn tient sa puissance du fait que l’on ne l’utilise pas. Il lui suffit d’être pour exercer son pouvoir.

De plus, l’inscription figurant derrière le bijou est énigmatique : « Fais ce que voudras » (sans doute une référence à l’Abbaye de Thélème de Rabelais). Elle n’est pas une incitation à faire n’importe quoi, mais au contraire à trouver son Vœu Véritable, ce qui n’est pas chose aisée, ni même sans danger, comme l’apprendra Bastien à ses dépens dans la deuxième partie du livre. Un vœu exaucé en appelle fatalement un autre : c’est l’engrenage du désir, d’autant plus puissant que Bastien ne connaît aucune limite. Que peut devenir un être qui n’aurait plus rien à désirer ?

Mes premières réflexions philosophiques

L’Histoire sans fin est sans doute le premier livre que j’ai lu qui m’a fait vraiment réfléchir (il faut dire que Zozo la tornade ou Oui-oui ne facilitent pas la méditation métaphysique non plus …)

Je me souviens avoir été préoccupée par ce Néant qui détruit Fantasia et notre monde, ayant déjà constaté par moi-même le manque de fantaisie et d’imagination de certains de mes contemporains.

Les liens entre mensonge et imagination me sont aussi apparus clairement à la lecture de cet ouvrage. Qu’est-ce qui différenciait une histoire d’un mensonge finalement ? Les écrivains étaient-ils donc tous des menteurs ? Je pense que mes premières réflexions sur la fiction sont directement liées à l’Histoire sans fin.

J’ai aussi été très impressionnée par la transformation de Bastien, qui devient de plus en plus désagréable, orgueilleux et méchant en voyant ses souhaits exaucés. Je n’ai pas compris tout de suite les raisons de ce changement. Je pense qu’il m’a fallu des années et des relectures pour comprendre qu’il se dépouillait de son humanité, et que les faiblesses qu’il refusait d’assumer représentaient en fait l’essence même de son être. Un être humain sans faille, sans cicatrice ne peut être aimé profondément. Par les vœux qu’il fait, qui visent tous à le transformer, Bastien s’entoure d’une cuirasse de plus en plus épaisse, qui l’isole des autres. Le petit garçon ne comprend pas que la responsabilité vient avec le pouvoir et que l’absence de désir endurcit le cœur, c’est pourquoi il tombe si facilement dans le piège que lui tend Xayide.

J’avais adoré l’épisode de la porte du Miroir Magique qui reflète ce que l’on est réellement à l’intérieur de soi. Comme tout le monde, je me suis demandée ce que la porte refléterait pour moi, même si aujourd’hui j’en ai une vague idée.

J’ai lu et relu le passage du temple aux mille portes, fascinée par le fait que chaque porte conduise à une autre et que le chemin ne soit qu’une suite de choix, chacun créant un parcours unique, un sentier aux chemins qui bifurquent. Je me souviens m’être demandé avec inquiétude ce qui se passerait si Bastien choisissait la mauvaise porte. Aujourd’hui, je pense qu’il n’y a pas vraiment de mauvaise porte. Tous les chemins sont bons, même si certains sont plus longs ou plus inattendus que d’autres.

Et puis en vrac …

Toutes ces choses que je n’ai pas envie d’organiser :

La tour d’Ivoire, les yeux d’or de la Petite Impératrice, l’escargot de course, les marais de la Mélancolie, la mort d’Artax, les armures vides de Xayide, la ville des anciens empereurs, Perelin le bois de la nuit, le discours de Gmork, le vieux libraire, la ville d’argent d’Amarganth, le regard des Sphinxs … tout ce qui me revient quand j’effleure ce livre qui ne m’a jamais quittée.

 

J’attends impatiemment que mes fils aient l’âge de découvrir cet ouvrage et ce film, afin de pouvoir revivre une fois de plus l’Histoire sans fin à travers eux.

Miss Tcharafi

Mi-femme, mi-cyborg, je jongle entre Hi-Tech, littérature et cosmétiques. J'ai un avis sur tout et je le partage volontiers, d'autant plus que j'ai toujours raison. Mon but ultime est d'être Terminator avec du gloss.

3 commentaires

  1. ALBERT   •  

    Merci pour ce texte qui réveille bien des souvenirs. J’avais moi aussi 7 ans à la sortie du film, j’ai découvert le livre par la suite et comme vous j’ai été marqué pour la vie par la beauté et la richesse de cet univers.

  2. Brosseau   •  

    Je tombe sur cet article. Merci de m’avoir proposer cette théorie sur la suite de Basten, je déteste moins le 2 de cette sorte. Dans le film c’est tellement moins visible. Merci encore.
    Je comprend tellement pourquoi cette histoire me tiens tant au coeur et au corps !

  3. leonard   •  

    Je n’ai vu que le film, mais il y a effectivement quelque chose d’initiatique et de magique dans cette histoire dont je découvre les plus grands détails dans ton blog.

    Si tu as aimé cette histoire, tu vas adorer « les contes de terremer » d’Ursula Le Guin… c’est aussi une quête très similaire, et tu y retrouveras aussi la perte d’espoir que vivent les peuples de terremer… j’en dis pas plus. C’est un bijoux aussi. (mais le dessin animé fait le fils de Miyazaki par contre est merdique).

    Sur ce je vais m’acheter l’histoire sans fin en livre.

    Bonne suite.

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